2 juillet 2022 : Cela fait bientôt quatre mois que le pass vaccinal et le port du masque ne sont plus obligatoires dans les lieux de loisirs. La fête du cinéma débute demain, mais le cinéma près de chez moi va ouvrir le bal dès ce soir avec l’avant-première de « Triangle of Sadness », le film qui a reçu la Palme d’Or cette année.
J’ai décidé d’y aller : mon premier cinéma en plus de deux ans et demi ! J’avais pris la résolution de boycotter les salles obscures, mais après tout j’ai assez rongé mon frein. Je prends ma place sur internet et la reçois par mail sous forme d’un magnifique QR code.
C’est assez paradoxal : moi qui ai refusé d’utiliser le fameux carré magique pendant tout ce temps, je ressens un plaisir presque coupable à en faire usage ce soir. A ma décharge : il n’a pas vocation à contrôler l’innommable celui-ci.
Je rejoins la file d’attente où de nombreuses personnes ont tombé le masque, enfin.. le masque de tissus hein.. et j’ai soudainement très envie de dire des bêtises..
il faut dire que cette foule s’y prête.. vous savez cette clientèle un peu pincée des centres-villes, qui fréquente les salles de « films d’auteurs » et qui en fin de séance se délecte en silence du générique, religieusement, jusqu’à la lie, en affichant un air profond pour se remettre de ses émotions..
Quand je vais au cinéma je ne peux pas m’empêcher de chercher un fauteuil parfaitement centré face à l’écran, et à chaque fois je dois me faufiler en fin de séance, en faisant des pas-chassés et en égrenant des « Pardon.. pardon.. excusez-moi.. pardon.. » pour échapper au silence quasi mystique dans lequel les initiés se complaisent le temps de rallumer leur cerveau – et moi ça m’angoisse..
Donc bref, j’attends dans la file d’attente que la salle ouvre, quand soudain ça y est, c’est le contrôle des billets :
– Quel est votre nom ?
– Mais j’ai mon QR-Code..
– L’appareil ne fonctionne pas ce soir.
– Ah.. j’ai vraiment pas de chance ! ça fait deux ans et demi que j’attends pour pouvoir enfin l’utiliser !
J’ai parlé fort à dessein, et je jette un œil vers ceux qui me suivent dans la file d’attente : ça ne les a pas fait rire du tout.. ni spécialement d’ailleurs la caissière qui en a certainement vu d’autres.
Mais ça m’a fait du bien ; je considère que c’est à cause d’eux si je ne fais plus rien depuis deux ans et demi. Il fallait que le mauvais élève que je suis, le leur fasse savoir..