Le confinement a un avantage, c’est que je fais du sport tous les jours pour me changer les idées. Je cours dans le parc en bas de chez moi, en profite pour faire des pompes, des étirements.. je n’ai jamais autant pratiqué !
J’aime courir, c’est comme une forme de méditation : mon mental est au départ traversé par une multitude de pensées parasites, et puis l’effort cardio le contraint à se focaliser sur la respiration, les sensations, pour finalement devenir respiration et sensations.
Le temps d’une séance mon esprit s’élève loin des soucis quotidiens. « Comme dans un nuage ». En ces temps de confinement, ça n’a pas de prix..
Et puis courir c’est l’occasion de croiser les plus téméraires d’entre nous, ceux qui osent braver ces particules virales en suspension dans l’air, cet ennemi invisible et insidieux qui pourrait abattre un colosse en moins de temps qu’il n’en a fallu à Bruce Lee pour coucher Chuck Norris dans « la Fureur de Dragon ».
J’ai du respect pour ces résistants du quotidien ! et plus sérieusement pour ces quelques personnes qui ont su raison garder (le nombre de cas Covid est insignifiant là où j’habite). Notez que par respect pour ceux qui sont inquiets, je les salue à distance et je fais toujours un léger écart quand je croise quelqu’un.
Ce jour là donc, j’entame mon jogging quand je croise un des ces marcheurs courageux que je salue chaleureusement d’un geste de la main. Il me retourne la pareille, enfin plutôt il m’interpelle et me fait signe de m’arrêter. Je retire mes écouteurs et m’adresse à lui en sautillant sur place pour éviter de me refroidir :
– Bonjour.. Oui ?
– Oui bonjour. Dites, vous devez faire un écart d’au moins 2 mètres quand vous courrez et que vous croisez quelqu’un.
– Ah ? mais le chemin est très étroit..
– Oui, mais comme vous courez, vous expulsez une quantité plus importante d’air de vos poumons, et surtout vous l’expulsez plus loin.
– Ah..
Il vient de me faire redescendre sur terre en une fraction de seconde. Comme il porte un masque, je ne vois plus que ses deux yeux bovins qui me fixent et son allure dégingandé. Mon cerveau n’a pas encore eu le temps de formaliser une réponse, que déjà je sens mon sautillement devenir oscillatoire comme celui d’un boxeur sur le ring..
Je me déplace dans l’herbe à 3 ou 4 mètres de distance du chemin, et je lui dis avec un sourire narquois :
– Comme ça ?
– …
– Bien entendu j’y penserai, soyez en sûr.
Je repars en petite foulée. Mon rythme cardiaque vient de faire un bond, mais il n’a pas réussi à entièrement gâcher ma sortie. En effet il l’ignore, mais je lui suis reconnaissant de m’avoir permis de prendre la mesure de la déferlante de bêtise qui est en train de submerger mes compatriotes. Un véritable « red flag » : rarement dans ma vie je n’avais entendu de propos aussi stupides..
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